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Traduit par Hélène Bilodeaux, trad. a.

Vous avez fignolé, testé et mis à l’essai votre produit jusqu’à ce qu’il atteigne la perfection et il est maintenant prêt pour se mesurer à d’autres. Que vous représentiez une brasserie, une distillerie ou une vinerie, vous ressentez forcément un peu de nervosité à l’idée de la compétition, surtout si c’est votre première participation. Gagnerez-vous le premier prix et le droit de fanfaronner ou repartirez-vous les mains vides et l’orgueil blessé?

Nous avons demandé à des experts de nous expliquer ce qui se passe dans la tête des juges quand ils évaluent une candidature. Qu’il s’agisse d’obtenir la texture parfaite pour un spiritueux, d’intégrer à merveille les composants d’un vin ou de donner à une bière l’intention exactement voulue, certaines qualités tangibles – parfois non tangibles – produiront sur les juges une impression durable.

Visez la précision avant la puissance

En matière de compétitions, les critères de sélection ont évolué au fil du temps.

En ce qui concerne le vin, les vins audacieux et fruités ont toujours dominé les compétitions. Leur impact immédiat est indéniable, en particulier dans les contextes où les juges peuvent évaluer 50 vins ou plus par jour. Ces vins ont su impression impressionner rapidement avec leurs grandes saveurs expressives, et se sont imposés comme les favoris lors de nombreuses compétitions. Toutefois, ces dernières années, un changement notable s’est opéré. Les compétiteurs dont les vins se distinguent par leur précision, leur équilibre et leur énergie remportent de plus en plus de médailles.

Natalie MacLean against white background
Natalie MacLean, auteur de best-sellers et critique de vin

Natalie MacLean, auteure à succès de Red, White and Drunk All Over, Unquenchable et Wine Witch on Fire, et la meilleure auteure de livres sur les boissons au monde selon les World Food Media Awards, a déclaré : « Ces vins ne sont peut-être pas ceux qui parlent le plus fort dans la pièce, mais ils transmettent un message clair. »

L’appréciation de la précision ne s’arrête pas au vin. En fait, l’une des expériences de dégustation les plus mémorables pour Charlene Rooke, rédactrice pour la rubrique À bon verre, bonne table, de la Régie des alcools de l’Ontario, formatrice en spiritueux à la Wine & Spirit Education Trust (WSET) et juge principale du Concours de spiritueux artisanaux canadiens, lui est venue d’un spiritueux unique et raffiné.

« J’ai dégusté à l’aveugle une boisson identifiée comme étant un braggot (un spiritueux composé d’orge malté et de houblon, produit à partir de bière et de miel). C’était la première fois que j’en goûtais ou que j’en entendais parler! Et je suis plutôt fascinée par l’Acerum – un spiritueux distillé à partir de sirop d’érable – qui sort du Québec. Il me rappelle les rhums agricoles authentiques », explique Charlene Rooke.
Aujourd’hui, les nuances arrêtent les juges dans leur course.

L’étape de la préparation

Pour assurer que le produit est prêt à être jugé, les experts suggèrent de recréer l’atmosphère de la compétition bien avant d’y participer. L’une des meilleures façons de se préparer est de déguster ses produits à l’aveugle. Cela peut s’avérer particulièrement utile pour les brasseurs ou les distillateurs qui offrent une vaste gamme de produits.

« Dégustez vos bières à l’aveugle, a déclaré Lauren Richard, juge en chef de l’édition 2024 de la Coupe des bières du Canada. Vous avez peut-être beaucoup de lagers. Invitez votre personnel à les déguster sans parti pris, en se concentrant sur les ingrédients et l’intention derrière chaque brassin. Avez-vous réussi à véhiculer cette intention ou avez-vous trempé dans différentes catégories? »

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Charlene Rooke, juge principale du Concours de spiritueux artisanaux canadiens et formatrice en spiritueux à la WSET

Charlene Rooke partage cet avis et souligne l’importance de chercher à obtenir autant de commentaires que possible au cours du processus de préparation.

« Pour les spiritueux, il est essentiel de faire déguster régulièrement vos produits par des jurys de dégustation composés non seulement de membres de votre personnel de production mais aussi d’autres acteurs au sein de votre distillerie, et même en dehors de l’industrie, a-t-elle déclaré. La dégustation de produits concurrents avant la mise en bouteille de votre spiritueux assure la consistance et l’équilibre qualitatif essentiels au succès. »

Prendre le temps d’évaluer son produit sous plusieurs angles afin d’obtenir un large éventail d’opinions est la meilleure façon de s’assurer qu’il est prêt à entrer en compétition.

Créer un produit gagnant

Alors, que faut-il faire pour décrocher le premier prix? Pour les spiritueux, la complexité et l’arôme sont des facteurs clés mais une autre caractéristique peut aider votre produit à s’élever bien au-dessus des autres : la texture.

« Dans les spiritueux artisanaux, ce qui fait en sorte qu’un produit se démarque franchement, c’est son onctuosité, a déclaré Charlene Rooke. Beaucoup de spiritueux peuvent avoir des saveurs intrigantes, mais si l’alcool n’est pas bien intégré ou que la texture est rugueuse, ça nuit à l’expérience globale. Une texture lisse et raffinée élève le produit, permettant à tous les éléments – les flaveurs, les arômes et le corps – de s’exprimer. »

Lauren Richard leaning on bartop
Lauren Richard, juge en chef de la Coupe des bières du Canada 2024

Pour le vin, c’est la capacité à raconter une histoire passionnante dans un verre qui permet d’obtenir les meilleures notes de Natalie MacLean.

« Ce qui distingue un vin, c’est sa capacité à évoluer de la première à la dernière gorgée, a-t-elle déclaré. Il doit révéler des couches de complexité. Ces vins ne crient pas pour attirer l’attention, ils vous séduisent, vous racontent l’histoire de leur origine et de leur évolution. Un vin qui intègre harmonieusement ses composantes – acidité, tanins, alcool, fruits et arômes – soutient bien la concurrence. »

Les facteurs non tangibles

Si la perfection technique est plus ou moins attendue dans les compétitions, une qualité non tangible peut permettre à un produit de se distinguer; une qualité qui ne peut pas être quantifiée sur un tableau de pointage : la capacité d’exciter, d’étonner ou de créer une connexion émotionnelle. Voilà ce qui peut transformer un produit fort appréciable en expérience inoubliable.

« Il n’est jamais juste question de perfection technique, a expliqué Natalie MacLean. Il y a quelque chose d’excitant, d’étonnant même, qui distingue les grands vins. Quand un vin arrive à vous transporter dans le vignoble, à évoquer le sol, le climat et même la philosophie du vigneron, c’est là qu’il transcende le simple fait d’être un bon vin, qu’une connexion émotionnelle se crée. »

Bien que cette qualité ne puisse pas être évaluée sous forme de points par les juges, il ne fait aucun doute qu’elle permettra à votre produit de se démarquer des autres.

Dans les spiritueux artisanaux, ce qui fait en sorte qu’un produit se démarque franchement, c’est son onctuosité. Beaucoup de spiritueux peuvent avoir des saveurs intrigantes, mais si l’alcool n’est pas bien intégré ou que la texture est rugueuse, ça nuit à l’expérience globale. Une texture lisse et raffinée élève le produit, permettant à tous les éléments – les flaveurs, les arômes et le corps – de s’exprimer.

Charlene Rooke, juge principal du Concours de spiritueux artisanaux canadiens et formatrice en spiritueux à la WSET drinks editor
Charlene Rooke tasting beverage

« Les éléments non tangibles ne peuvent pas être définis par une ligne directrice, a déclaré Lauren Richard. C’est comme entendre un chanteur atteindre un do aigu, mais avec une texture, une qualité, un certain raffinement – ou manque de raffinement – qui fait en sorte qu’on le ressent plus profondément. »

C’est précisément cette qualité – la résonance émotionnelle – qui a contribué à ancrer à jamais une certaine bière dans l’esprit de Lauren Richard. Elle se souvient d’une récente compétition au cours de laquelle une bière blanche Pile O’ Bones a attiré l’attention des juges.

« Ça nous a donné des frissons, a-t-elle déclaré. Il ne restait plus que deux bières en liste. Celle qui n’a pas été sélectionnée était techniquement parfaite – elle était limpide, vive, et répondait à tous les critères. Mais la bière blanche, nous ne pouvions pas arrêter d’en parler. Le temps s’est arrêté. Nous savions que nous nous souviendrions de ce moment longtemps après la compétition. »

Rendez-vous ici pour une entrevue exclusive avec Pile O’ Bones sur leur victoire à l’édition 2024 de la Coupe des bières du Canada.

Arrivez avec une stratégie

De tous les conseils de nos experts, celui qui est possiblement le plus accessible est de connaître votre produit mieux que n’importe qui et de vous assurer qu’il communique clairement votre intention. C’est essentiel pour se démarquer dans une compétition où l’ambiance est très différente de celle d’un bar décontracté.

« Si vous dites que votre bière est vieillie dans des fûts de cognac, assurez-vous que cette caractéristique est évidente, a déclaré Lauren Richard. N’induisez pas les juges en erreur avec des affirmations que la bière ne peut pas confirmer. Nous jugeons sur la base de votre description, alors soyez clair sur vos intentions. »

Glass of wine with wine glasses and bottles in background
vershininphoto / 123rf

« Si vous avez élaboré un rhum à taux d’ester élevé ou un whisky brut de fût, il est important de le mentionner dans vos remarques sur le produit, car cela peut influencer la façon dont les juges l’évaluent », a ajouté Charlene Rooke.

L’environnement du concours est également unique en ce qui concerne la manière dont les produits sont perçus, c’est pourquoi il faut choisir un produit qui peut subir la pression d’une compétition. « Les nouveaux participants font souvent l’erreur de présenter leur vin le plus cher ou le plus ambitieux. Je recommande de commencer par le produit dont le rendement est le plus constant, c’est-à-dire un produit qui donne de bons résultats à diverses températures et dans différents laps de temps, même après être resté débouché pendant des heures. C’est à ça que votre produit sera confronté en compétition », a expliqué Natalie MacLean.

Est-ce vrai que tout peut arriver dès la première gorgée? Étant donné qu’un jury de concours fonctionne dans un environnement très ciblé et critique, les défauts techniques peuvent immédiatement disqualifier un produit, et certaines difficultés sont insurpassables.

« Des défauts techniques tels qu’une acidité volatile excessive ou des brettanomyces peuvent immédiatement disqualifier un vin », a confirmé Natalie MacLean.

Making notes with flights of beer on bartop in background
valmedia1 / 123rf

Charlene Rooke attire l’attention sur une autre erreur courante chez les spiritueux. « Je trouve que la plupart des liqueurs et de nombreux spiritueux aromatisés que je juge sont trop sucrés, a-t-elle déclaré. Les produit aromatisés à teneur en sucre réduite peuvent être utilisés dans des cocktails ou consommés seuls, ce qui les rend plus polyvalents. »

Et il y a un autre défaut malheureux qui fait mal non seulement au produit mais aussi aux juges. « À chaque compétition, nous essayons des bières qui sont vraiment exceptionnelles, mais qui n’ont pas été inscrites dans la bonne catégorie, a déclaré Richard. Pour cette raison, nous ne pouvons pas [les] proposer. C’est tragique. »

Faites preuve de créativité

Les catégories expérimentales offrent la possibilité de mettre en valeur votre côté créatif, mais attention! Les ingrédients uniques doivent complémenter, et non masquer, les qualités essentielles de votre produit.

« Même quand je juge un spiritueux très fort ou inhabituel – qu’il s’agisse d’une vodka aromatisée à l’ail, au piment fort ou aux cornichons ou d’un rhum épicé – je m’attends toujours à ce que ses arômes, ses saveurs et sa texture soient équilibrés, a déclaré Charlene Rooke. Les saveurs ou les ingrédients expérimentaux peuvent difficilement dissimuler un spiritueux mal distillé ou mal mélangé à la base. »

Il ne restait plus que deux bières en liste. Celle qui n’a pas été sélectionnée était techniquement parfaite – elle était limpide, vive, et répondait à tous les critères. Mais la bière blanche, nous ne pouvions pas arrêter d’en parler. Le temps s’est arrêté. Nous savions que nous nous souviendrions de ce moment longtemps après la compétition.

Lauren Richard, juge en chef de l’édition 2024 de la Coupe des bières du Canada

Tendances changeantes

Si les goûts et les préférences des consommateurs évoluent, les compétions suivent le même rythme – et Lauren Richard s’en réjouit.

« Nous avons apporté de nombreux changements aux directives de la Coupe des bières du Canada cette année en raison de l’évolution des tendances, l’une d’elles concerne les bières à faible teneur en alcool, a-t-elle expliqué. Ces tendances sont plus fréquentes dans les bars et nous nous efforçons de leur faire une plus grande place dans l’univers de la compétition. »

Natalie MacLean a également constaté l’intégration de la responsabilité environnementale dans les critères d’évaluation. Certains concours accordent des points supplémentaires pour des pratiques biologiques ou biodynamiques certifiées, une production neutre en carbone ou même un emballage durable innovant.

Lauren Richard sitting at bartop with pint of dark beer
Photo: Joey Senft, The Forks

« Ce qui est intéressant, c’est que cela a poussé les viticulteurs non seulement à s’adapter à ces pratiques, mais aussi à les perfectionner, a-t-elle déclaré. Nous voyons aujourd’hui des vins durables qui ne se contentent pas de rivaliser avec les vins conventionnels : ils les surpassent. »

Bien que ces tendances soient passionnantes, un attribut demeure prisé dans les compétitions : l’équilibre. « L’équilibre est devenu le marqueur ultime du succès, a déclaré Nathalie MacLean. J’ai vu des vins techniquement parfaits ne pas obtenir de médaille parce qu’ils avaient été fabriqués plutôt qu’élaborés. Ils manquaient de la tension et de l’énergie qui font la grandeur d’un vin. Ce n’est pas qu’une question de puissance pure. C’est aussi une question d’harmonie. »

Finalement, qu’il s’agisse de vin, de spiritueux ou de bière, les principes d’équilibre et de savoir-faire sont les mêmes.

« Nous voulons que la bière suive le plus possible les lignes directrices. Certaines choses n’entrent pas tout à fait dans un cadre, et il n’y a rien de mal à cela – c’est pourquoi nous avons les catégories expérimentales. Mais la bière doit être brassée dans un environnement propre, d’une manière expressive et bien équilibrée. Tout est dans l’attention aux détails : la propreté, la fraîcheur et l’utilisation d’ingrédients auxquels on croit. »